jeudi 21 mai 2020

Critique du neutrino pour...

... le rayon Polar

Les mythes ont leurs figures, qui tel des représentants les fixent dans les mémoires. Le polar n’échappe pas à cette règle des particules élémentaires qui impriment la souvenance. La légendaire Série Noire, le tumultueux Fleuve Noir et quelques autres comme les Editions Ditis ou Presse de la Cité le furent en leur temps. Mais avec le temps, avec le temps, elles cédèrent leur place à la si bien illustrée édition Néo… Mais avec le temps, avec le temps, va, tout s'en va et vient le temps de Jigal…
Mais avec le temps, avec le temps, va, tout s'en va même les plus chouettes souvenirs ça t'as une de ces gueules…
Mais avec le temps, il aura suffi du meurtre de Sabrina Marco, physicienne œuvrant au CERN, le plus grand laboratoire de physique des particules du monde, dont le corps est retrouvé à cheval sur la frontière franco-suisse pour que les travaux d’Ettore Majorana, physicien italien oublié, resurgissent.
Et les suspects tournicotent autour de ce cadavre telles les particules mises en lumières par les théories de ce physicien visionnaire, mais le qui a tué ce conforme au principe d'incertitude de Heisenberg qui veut que la mesure d'une des deux quantités classiques, position et la quantité de mouvement, se fait au détriment de l'autre. En d’autres termes, si l’on peut désigner les suspects on ne peut désigner le coupable. Et le lieutenant de gendarmerie Loïc Boudier, qui tient grâce à des particules chimiques, aura bien du mal à inverser la proposition…

Avec ce roman, Nils Barrellon convie le lecteur à un double voyage :
• Une visite du CERN, de ses accélérateurs et des détecteurs de particules, des scientifiques qui le peuplent, de leur acharnement, espoir et obsessions.
• A la revisite de la biographie d’Ettore Majorana au dénouement fictionnelle.
Avec l’art consommé du conteur, il mélange présent et passé, réalité et fiction, gendarmerie nationale et enquêteurs suisses, petits truands et scientifiques, solitude et mystères enfouis.

Le neutrino de Majorana : un livre d’histoires dans l’Histoire ; un livre d’amour et d’obsessions.

mercredi 6 mai 2020

Les jours d’après le jour d'après

Les jours d’après le jour d'après


Le jour d'après ? 
Je l'attends depuis 35 ans. J'ai 37 ans et je n'ai jamais quitté cet appartement dont j'ai hérité à la mort de mes parents. Nous y étions confinés quand le virus s'est déclaré. Et puis mon père est mort quand il a repris le travail, emporté par la deuxième vague comme les sept huitième de la population mondiale, après que cette saloperie avait muté. Maman, elle, a succombé à une maladie normale, un cancer peut être – comment savoir personne ne l’a auscultée – il y a cinq ans. Moi, je n'ai jamais rien connu d'autres que ce quatre pièces, dans le quatorzième arrondissement que je ne connais pas. Je me suis fait une image de la plus belle ville du monde, dans laquelle je suis née et que je n’ai jamais quitté, sur L’Internet. Car je ne suis jamais sortie, je n’ai pas le droit. Personne n'a le droit de sortir. Aujourd'hui, comme chaque lundi, un camion va passer déposer au bas de l'immeuble la nourriture pour la semaine. Un carton avec mon nom écrit dessus qui ne contient que des plats lyophilisés cooked in China dont les saveurs, avec le temps, se confondent jusqu'à n'en avoir plus. Je le guette à la fenêtre en écoutant d'une oreille distraite les informations de la chaîne nationale sur L’Internet, deux news tournent en boucle, à vous rendre folle : primo, l'armée a, hier, abattu un homme qui s'était engagé dans le no man's land (ma mère l'appelait le périph') pour tenter de rallier la province, son air prétendument pur, ses prés illusoirement verts, il voulait revoir des animaux, il est mort comme un chien ; deuzio, Emmanuel Macron a déposé ce jour une gerbe de fleurs devant l'hôpital George Pompidou qui fut le dernier bastion de résistance au COVID 26 avant que tout son personnel n'y succombe, il y a maintenant sept ans... Je jette un œil sur l'écran de ma télé connectée à L’Internet : Notre Vénérable Président, ré-élu depuis 35 ans par les trois millions de Français restants qui, tous les cinq ans, cliquent pour leur bulletin numérique qui sera dépouillé numériquement par un logiciel développé par Le Nouvel Elysée, Notre Vénérable Président donc, paraît faible, il vacille et trouve appui sur sa deuxième épouse, de cinquante ans sa cadette. Elle jette vers la caméra un regard lubrique que je trouve indécent. 
Je pense à éteindre la télé et elle s'éteint. Je re-regarde la rue. Les sirènes la strient soudain de bleu. Le camion et son escorte de la Nouvelle Police arrivent. Je connais le protocole, pensez, 35 ans que je l'applique : attendre six heures après le passage du camion, enfiler la combinaison intégrale et descendre chercher mon carton. Alors j'attends. Je relis la Chartreuse de Parme. Puis c'est l’heure. Je m'équipe, vérifie la pression de la bouteille d'air, elle est à la moitié, c'est largement bon. Je pose ma main gantée sur la poignée de ma porte : si un voisin – nous ne sommes plus que trois dans l'immeuble – est déjà en bas, ma porte ne s'ouvrira pas. La poignée tourne sans résistance, je peux donc y aller. Je descends par l'escalier, sors dans la rue non sans m'assurer que la voie est libre. Mon carton est là. 
 J'approche. Dessus il y a un rectangle blanc. Une lettre. C'est la troisième lettre que je reçois. De ma vie. Mon cœur bat plus fort et encore plus fort quand je constate que c'est bien mon nom qui est écrit dessus. Mes mains tremblent. Prestement, je prends le carton et la lettre et je remonte chez moi. Je bâcle la procédure de désinfection. Je suis dans mon salon, l'enveloppe est posée sur la table basse. Je la scrute sans oser l'ouvrir. Elle porte le sceau du gouvernement d'urgence du 23 mai 2020. Enfin je l'ouvre. La lis. La relis. 

Les tests menés sur vos analyses mensuelles sont formelles : vous êtes immunisée contre les COVID 4 à 27 inclus. (...) Vous êtes susceptible de participer au repeuplement de la Nation (...) Rendez vous sur L’Internet pour connaître le partenaire qui vous a été attribué.” 

La lettre m’échappe. Elle tombe au sol en faisant des zigzag horizontaux. Je pense à allumer mon ordinateur. Il s’allume. Le navigateur s’ouvre sur la bonne page. Un bouton me dit cliquez ici. J’obéis. La photo d’un homme apparaît. Michel S. 39 ans. Immunisé CO 4-27 inclus. Je le détaille. Il est très laid. Sa calvitie laisse apparaître un front ridé. Sa peau est vilaine, grise et grasse. Ses yeux sont trop rapprochés l’un de l’autre et confère à son regard un air ovin. Il est glabre, ses lèvres paraissent molles, leurs commissures tombent. 
J’ai envie de pleurer.
La sonnerie de ma porte retentit. Je sursaute. C’est la première fois que je l’entends. De ma vie. Elle est stridente et désagréable. Je me lève, hésitante, viens coller mon œil sur le judas. Un homme en combinaison apparaît. Derrière la vitre du masque, je reconnais les yeux torves de Michel S. Il est accompagné par deux officiers de la Nouvelle Police avec leur casque à la visière opaque, chargés, cela est clair, de l'exécution de l’arrêté dont je suis une des deux protagonistes. 
Une larme s’échappe de mon œil droit, juste le droit, et glisse sur ma joue. Je la sens sur la saillie de ma mâchoire. La pesanteur la tire, l’étire, elle se détache et je la regarde s’écraser sur le carrelage où elle laisse une minuscule flaque en forme de soleil. La sonnerie, de nouveau. J’inspire. Et j’ouvre ma porte.