J’ai eu la chance, il y a trois semaines de cela, de partir
une dizaine de jours en Guyane. Je me suis régalé. Dans ce département
français, le plus grand, couvert à 95% par la forêt amazonienne, rien ou si peu
n’est prévu pour les touristes.
Car touriste il n’y a pas.
Il faut avouer que cette terre n’est pas particulièrement
hospitalière. Le soleil frappe fort dès le matin, la température est suffocante
et d’autant plus difficile à supporter que l’humidité de l’air frise avec les
100% toute l’année ; les moustiques sont nombreux et porteurs, en vrac,
de la dengue, du chikungunya ou du
palu ; les routes sont souvent défoncées voire carrément inexistantes
–beaucoup de villes ne sont accessibles qu’en pirogue ! Enfin, le coût de
la vie est étonnamment élevé…
Et pourtant, j’ai assisté, dans cet unique morceau d’Europe
en Amérique du Sud, à des évènements extraordinaires que je ne suis pas près de
revoir ni d’oublier.
J’ai assisté, les yeux écarquillés, au 222ème
lancement du lanceur Ariane. J’ai observé, en pleine nuit, la ponte des tortues
luth, ces monstres de plus de cinq cents kilos sur la plage d’Awala Yalimapo. J’ai
tenu dans mes mains un caïman noir de plus d’un mètre. J’ai frissonné en
entendant les singes hurleurs déchirer le silence de la nuit, relatif dans la
jungle toutefois, par leurs cris gutturaux hallucinants.
Et puis…
Et puis, j’ai visité ce qui justifie ce billet dans ce blog
« littéraire » : les îles du Salut et le camp de la transportation à
Saint-Laurent du Maroni.
Bref, j’ai visité le bagne.
De retour en métropole, j’ai immédiatement fait l’acquisition
des deux bouquins dont il sera question ici : Papillon d’Henri Charrière
et La Guillotine Sèche de René Belbenoit.
J’avais déjà lu deux fois le premier, je l’ai relu une
troisième fois. Rédigé à la première personne du singulier, il s’agit d’une
autobiographie d’Henri Charrière, alias Papillon, en rapport au lépidoptère
qu’il a tatoué dans le dos, petit escroc montmartrois, condamné à perpétuité
pour un meurtre qu’il n’a pas commis (du moins l’affirme-t-il).
de deux bagnards sur trois meurent moins
d’un an après leur arrivée (les moustiques, les parasites, les maladies, la
sous-nutrition, la maltraitance). L’injustice qui règne dans les camps est
poussée à son extrémité. Chacun veille sur ses fesses et se démerde comme il
peut pour améliorer son quotidien misérable. Les bagarres sont monnaies
courantes, les règlements de compte sanglants aussi. Ce qui anime ce roman, sa
colonne vertébrale, est la volonté farouche, indéboulonnable de son narrateur
d’échapper à cet enfer coûte que coûte. Ainsi, on le suit dans ses multiples
tentatives d’évasion, toutes plus ahurissantes les unes que les autres, jusqu’à
la dernière, la bonne depuis l’île du diable où fut enfermé Dreyfus !
Ce roman possède un souffle épique indéniable (et les
producteurs hollywoodiens l’ont bien compris qui l’ont adapté au cinéma avec
Steve Mac Queen – film de 1973 que je vous recommande chaudement). C’est un
roman d’aventure documenté. Et c’est peut-être l’unique reproche que j’ai à
formuler à l’issue de cette troisième lecture. Des doutes subsistent sur la
véracité des faits rapportés par Charrière. Le guide du camp de la Transportation
m’a confirmé que Papillon ne s’était pas évadé depuis l’île du diable comme il
le décrit dans son livre mais depuis un camp situé aux milieux des terres
(c’étaient les plus nombreux). Il semblerait donc que Charrière a étoffé son
histoire avec celles des bagnards qu’il a côtoyés. Tout est vrai mais il ne l’a
pas vécu !
C’est toute la différence avec le livre témoignage de René
Belbenoit. Ici, tout est vraiment vrai. ;-) Et tout est aussi stupéfiant. René est
une petite racaille qui échoue au bagne pour une connerie*. Lui aussi n’a
qu’une idée en tête : s’évader. Il accumulera les tentatives ratées, qui
rallongeront d’autant sa peine, avant de réussir à rallier les États-Unis au prix d’un périple homérique. Le livre est plus ramassé que celui de
Charrière, plus direct. Pas d’effet de style, les faits, rien que les faits. C’est
un style journalistique et d’ailleurs, Belbenoit devra la réussite de sa cavale
à ses facultés d’observation et de synthèse (il sera mandaté à plusieurs
reprises pour faire des rapports sur le bagne et ses pratiques par le
gouverneur de la région et par des touristes-journalistes américains). René aussi
connaîtra les camps forestiers, les chiques, le scorbut, les humiliations, les
injustices, les mauvais traitements. Lui aussi sera puni par une peine de
réclusion dans les cellules à ciel ouvert situées sur l’île Saint Joseph.
J’ai eu la chance de visiter ces cellules, je me suis aussi baigné
dans la piscine aménagée par les bagnards sur l’île Royale pour se protéger des
vagues et des requins, j’ai mangé les fameuses cocos (elles reviennent souvent
dans les deux romans) et je ne vous cache pas que cela éclaire ces livres. On
voit, on comprend où ces deux hommes ont évolué. On pense toucher du doigt ce
qu’ils ont pu vivre, leurs souffrances, leurs désillusions…
Néanmoins, même si vous n’avez pas été en Guyane, je vous
recommande la lecture d’un de ces deux bouquins pour découvrir de l’intérieur
l’une des taches sombres de notre Histoire nationale**. Inutile –sauf si le
premier vous passionne, ce qui ne serait pas étonnant- de lire les deux. Ils
racontent finalement la même histoire. Pour choisir, sachez donc que la
Guillotine Sèche est plus documentaire, plus factuel que celui de Charrière,
plus romancé, plus littéraire.
Bonne découverte.
PS : les photos sont de moi ;-)
*A l’époque, l’administration envoie beaucoup d’hommes en
Guyane. L'idée –voulue par Napoléon- est de peupler cette terre
difficile avec des hommes forts. Ainsi, une loi insensée est instaurée :
sa peine de prison purgée, le bagnard qui a la chance d’être encore en vie,
doit rester un temps égal sur les terres guyanaises avant d’être autorisé à
rentrer au pays (chose presque impossible de toutes les façons, le prix du
billet retour étant inaccessible).
** Le bagne sera définitivement fermé en 1945 à la suite d’un
article d’Albert Londres venu constater les conditions de vie pitoyables des
prisonniers en 1923 et qui fera grand bruit. Cependant, les derniers bagnards
et gardiens ne reviendront en France qu’en 1953.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire