lundi 26 octobre 2015

Babylone Moscou d’Owen Matthews

Alors, autant vous le dire tout de suite, si vous êtes comme moi fan de Bret Easton Ellis et de Dostoïevski, vous allez ADORER Owen Matthews ! 

Né à Londres, d’un père anglais et d’une mère russe, Owen Matthews est la synthèse parfaite de ces deux écrivains à première vue antinomiques. En effet, Ellis a une écriture speed. Ses phrases sont vives, souvent hachées, et les mots fusent comme les balles d’une rafale de… kalachnikov. Fiodor, de son côté, a une légère tendance à la digression, aux circonvolutions narratives. Le premier est américain et rapporte avec brio le désenchantement de la jeunesse dorée de ses concitoyens. Les rebuts de ce capitalisme forcené qui n’offre plus d’avenir à avoir trop promis tentent d’oublier leur mal-être, leur non-être, dans la drogue, le sexe facile et les dernières fringues à la mode. Le second, russe of course, élabore des romans aux intrigues complexes dans lesquels il passe au scanner (à la loupe pour ne pas être anachronique) les mœurs de ses contemporains. L’âme russe y est transcendée, éclatant dans toute sa pathétique splendeur. Ses personnages s’auto-torturent, s’infligent des tourments auxquels ils estiment ne pas pouvoir échapper. Car ils leur étaient destinés

Owen Matthews conjugue ces deux univers…

Roman Lambert décide, au tournant des années quatre-vingt, de fuir le confort relatif du royaume de sa majesté pour venir « tenter l’aventure » sur la terre de ses ancêtres. L’URSS vient de s’effondrer et, à l’instar de son président bouffi d’alcool qui ne gouverne que pour ses amis, il y a de l’argent à faire. Mais pas pour tout le monde. Seuls les plus forts, les plus cyniques, les plus malhonnêtes s’enrichiront, souvent sur le dos de leurs anciens voisins. Roman Lambert va tenter d’appliquer ce qu’il a appris à Oxford sur ce nouveau territoire, ce nouvel eldorado du capitalisme. Mais c’est sans compter sur les autochtones. La Russie est une terre divine, empreinte de mysticisme, et les russes sont un peuple à part. L’âme russe, si difficile à décrire, bouscule toutes les certitudes de Lambert. « Ne plonge pas, reste en surface » lui conseille un anglais installé comme lui à Moscou. Mais, parce qu’il est à moitié russe, Lambert va plonger. Il va aimer, il va tuer. 

Owen Matthews, dans un style vif et rythmé (à la Bret Easton donc) parvient à rendre cette fameuse âme russe, squelette des grands romans du XIXème (de Tolstoï à Dostoïevski, en passant par Chamalov, Boulgakov, Gogol ou Pouchkine, j’en passe et des meilleurs). Grandeur et décadence à la mode russe ! Oligarque ou vendeur de cornichons en bocaux à la sortie du métro… 



Cerise sur le gâteau, son roman, moitié polar à la Crime et Châtiment, moitié documentaire, nous fait découvrir la chute de l’URSS de l’intérieur, nous fait toucher du doigt le cataclysme qu’il a représenté pour tous ceux qui, du jour au lendemain, ne furent plus rien. Pour être allé en Russie en 2004 (Cf photos), au plus près de ces gens qui ont tout perdu, je peux vous garantir que la description d’Owen Matthews est d’une lucidité remarquable (reporter pour Newsweek à Moscou en 90, il a vécu l’effondrement du bloc socialiste au plus près et explique en postface que les passages autobiographiques pullulent dans son roman). 



A lire, à relire, à sur-lire !

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