Au collège de France, place Marcellin-Berthelot à Paris, Fréderic
Joliot attrapa une craie blanche dans la glissière fixée au bas du tableau
noir.
- Résumons.
Hans Von Halbane et Lew Kowarski se turent. Joliot dessina deux
ronds, un petit et un gros. Une flèche partait du petit pour pénétrer dans le
gros.
- Bombardé par des neutrons
lents, le noyau d’Uranium se scinde, comme une goutte d’eau trop grosse, en
deux noyaux fils plus légers, libérant par là-même une forte quantité
d’énergie.
Une autre flèche menant à deux ronds de taille intermédiaire.
- S’il fissionne en, disons, un
noyau de Rubidium, Z égal trente-sept, et un de Césium, Z égal cent quarante et
un, on constate que ces derniers présentent un excès de neutrons. Onze pour le
Rubidium et huit pour le Césium. Première option…
Nouvelle flèche qui partait des deux ronds moyens vers le bas et
la gauche.
- Les deux noyaux fils se
désintègrent en émettant des béta moins et transforment ces neutrons
excédentaires en protons pour restaurer l’équilibre proton-neutron. Quatre
désintégrations pour le Rubidium. Cinq pour le Césium. Deuxième option…
Joliot se tourna vers ses collaborateurs comme s’il attendait leur
aval. Les deux hommes hochèrent la tête d’un air entendu. Frédéric traça une
dernière flèche vers le bas et la droite.
- Ces neutrons en trop sont
éliminés pendant le processus de fission[1].
Conséquemment, on se trouve là en présence d’une possible réaction en chaîne.
Les neutrons libérés pouvant à leur tour faire fissionner d’autres noyaux
d’Uranium.
Le détenteur de la chaire de chimie nucléaire posa sa craie et
vint s’asseoir sur la chaise libre. Ce qu’il avait dit en 1935, après avoir
reçu son prix Nobel, lui revint en tête :
Si, tourné vers le passé,
nous jetons un regard sur les progrès accomplis par la science à une allure
toujours croissante, nous sommes en droit de penser que les chercheurs,
construisant ou brisant les éléments à volonté, sauront réaliser des transmutations
à caractère explosif, véritables réactions en chaîne. Si de telles
transformations arrivent à se propager dans la matière, on peut concevoir
l’énorme libération d’énergie utilisable qui aura lieu[2].
Toutefois il se garda de rappeler cette funeste prédiction à ses
assistants et les trois hommes regardèrent le schéma en silence. Un
pressentiment désagréable semblait flotter dans l’air.
Une cascade de réaction, tant d’énergie libérée…
[1] Liberation of Neutrons in the Nuclear
Explosion of Uranium – F.Joliot, H.Von Halban et L.Kowarski –Nature 143 p470-471 – Mars 1939.
[2] Conférences
Nobel faites à Stockholm le 12 décembre 1935 par M. le Professeur Dr Frédéric
Joliot ; tiré à part de Les prix Nobel en
1935.