samedi 28 septembre 2019

1939


Au collège de France, place Marcellin-Berthelot à Paris, Fréderic Joliot attrapa une craie blanche dans la glissière fixée au bas du tableau noir.
-       Résumons.
Hans Von Halbane et Lew Kowarski se turent. Joliot dessina deux ronds, un petit et un gros. Une flèche partait du petit pour pénétrer dans le gros.
-       Bombardé par des neutrons lents, le noyau d’Uranium se scinde, comme une goutte d’eau trop grosse, en deux noyaux fils plus légers, libérant par là-même une forte quantité d’énergie.
Une autre flèche menant à deux ronds de taille intermédiaire.
-       S’il fissionne en, disons, un noyau de Rubidium, Z égal trente-sept, et un de Césium, Z égal cent quarante et un, on constate que ces derniers présentent un excès de neutrons. Onze pour le Rubidium et huit pour le Césium. Première option…
Nouvelle flèche qui partait des deux ronds moyens vers le bas et la gauche.
-       Les deux noyaux fils se désintègrent en émettant des béta moins et transforment ces neutrons excédentaires en protons pour restaurer l’équilibre proton-neutron. Quatre désintégrations pour le Rubidium. Cinq pour le Césium. Deuxième option…
Joliot se tourna vers ses collaborateurs comme s’il attendait leur aval. Les deux hommes hochèrent la tête d’un air entendu. Frédéric traça une dernière flèche vers le bas et la droite.
-       Ces neutrons en trop sont éliminés pendant le processus de fission[1]. Conséquemment, on se trouve là en présence d’une possible réaction en chaîne. Les neutrons libérés pouvant à leur tour faire fissionner d’autres noyaux d’Uranium.
Le détenteur de la chaire de chimie nucléaire posa sa craie et vint s’asseoir sur la chaise libre. Ce qu’il avait dit en 1935, après avoir reçu son prix Nobel, lui revint en tête :

Si, tourné vers le passé, nous jetons un regard sur les progrès accomplis par la science à une allure toujours croissante, nous sommes en droit de penser que les chercheurs, construisant ou brisant les éléments à volonté, sauront réaliser des transmutations à caractère explosif, véritables réactions en chaîne. Si de telles transformations arrivent à se propager dans la matière, on peut concevoir l’énorme libération d’énergie utilisable qui aura lieu[2].

Toutefois il se garda de rappeler cette funeste prédiction à ses assistants et les trois hommes regardèrent le schéma en silence. Un pressentiment désagréable semblait flotter dans l’air.
Une cascade de réaction, tant d’énergie libérée…



[1] Liberation of Neutrons in the Nuclear Explosion of Uranium – F.Joliot, H.Von Halban et L.Kowarski –Nature 143 p470-471 – Mars 1939.

[2] Conférences Nobel faites à Stockholm le 12 décembre 1935 par M. le Professeur Dr Frédéric Joliot ; tiré à part de Les prix Nobel en 1935.


dimanche 22 septembre 2019

Le neutrino de Majorana

Il est en librairie (enfin... s'il n'y est pas, n'hésitez pas le commander que diable ou passez directement par chez Jigal en cliquant ici ou !) et j'en suis assez fier !



La quatrième de couv' :

Au début du siècle dernier, en Italie, Ettore Majorana, jeune savant de la trempe d’Einstein, partage sa fougue et sa passion entre les particules et Emilia, une jeune étudiante en physique. Bien des années plus tard, au CERN – le plus grand accélérateur de particules du monde –, 600 millions de protons se heurtent chaque seconde pour faire jaillir du vide la matière telle que nous la connaissons. L’univers, les étoiles, la terre, la mer, les arbres, les plantes, les êtres vivants... Ainsi que les cadavres. Quand le corps de Sabrina Marco, chercheuse sur la plateforme neutrino, est découvert, le crâne fracassé, les questions vont très vite s’enchaîner. Qui ? Pourquoi ? Le meurtre ayant eu lieu sur la frontière, c’est en « parfaite » coopération, que la police française et la police suisse vont devoir mener l’enquête. Et aller de surprise en surprise…

La présentation de l'éditeur :

C’est en écoutant une émission de radio présentée par Étienne Klein que Nils Barrellon découvre l’existence d’Ettore Majorana. Lui, qui depuis longtemps, rêvait d’écrire un polar scientifique, tient son sujet avec l’étonnante biographie de ce savant italien de la trempe d’Einstein ou de Newton, qui l’a immédiatement émoustillé. Ne souhaitant pas être trop vulgarisateur sur le sujet, il compulse une volumineuse documentation scientifique… Et de l’agitation intellectuelle de l’Italie du début du XXe siècle aux incroyables recherches actuelles du CERN, Nils Barrellon, va mêler et distordre histoire et personnages avec une seule et obsédante idée en tête : la mécanique quantique et le modèle standard des particules. Sacré programme !

samedi 21 septembre 2019

1937


Dans l’hôtel de ville de Stockholm, le professeur Pleijel, président du comité Nobel pour la physique de l’Académie Royale des Sciences de Suède, termina son discours.

The Royal Academy of Sciences has awarded you the Nobel Prize for Physics for 1932 in recognition of these studies, and I beg you to accept this distinction from the hands of His Majesty the King[1].

Flopée d’applaudissement. Werner Heisenberg contempla le drapeau de la Suède, plié en arc de cercle et accroché au milieu des tuyaux de l’un des plus grands orgues d’Europe qui surplombait le buste d’Alfred Nobel. L’épaisse moquette bleu céleste. L’orchestre symphonique sur le balcon. L’aéropage royal et ses femmes aux robes superbes. Il tourna la tête sur sa gauche et sourit à Paul Dirac, assis à côté de lui. Il chercha à croiser le regard d’Erwin Schrödinger mais celui-ci fixait avec des yeux gourmands une femme assise derrière les fauteuils dorés à l’or fin du couple royal.

Werner savourait cet instant et en goûtait l’incongruité[2].
Gustav V et son épouse se levèrent. Il les imita et avança vers eux, un peu engoncé dans son smoking, jusqu’à la lettre N brodée dans la moquette. Le monarque lui remit avec simplicité la petite boite rouge contenant la médaille Nobel et la grande verte renfermant le diplôme Nobel. 
-       Thank you, dit-il avec un accent irréprochable avant d’ajouter, Danke.
Werner Heisenberg s’inclina et déjà, le Roi et la Reine reculaient, le laissant seul sur le devant de la scène. Il se tourna face au public du Palais des Concerts qui l’applaudit à tout rompre pendant de longues secondes. Une bouffée de chaleur le submergea et il comprit ce qu’on ressentait dans la peau d’Albert Einstein.


[1] « La Royale académie des Sciences vous décerne le prix Nobel de physique pour l’année 1932 en reconnaissance de votre travail et je vous prie de le recevoir des mains de sa majesté le Roi. » Discours de cérémonie de la remise des prix Nobel – 10 décembre 1933.
[2] Décoré au titre de l’année 1932, Werner Heisenberg reçoit son prix en 1933, en même temps que Dirac et Schrödinger, prix Nobel 1933. Leurs théories, découvertes séparément, sont deux façons différentes d’aborder le même problème.