Au California
Institute of Technology, Carl Anderson contemplait, perplexe, la photo
posée devant lui. La température était caniculaire au pied des montagnes Saint
Gabriel, pas loin de quatre-vingt-dix degrés Fahrenheit et Anderson suait à
grosses gouttes. Ce cliché était tout à fait surprenant. Cela faisait
maintenant plusieurs mois que, sous la direction de Robert Andrews Millikan,
l’homme qui avait déterminé la charge élémentaire de l’électron en 1913, il
traquait les particules du rayonnement cosmique dans une chambre à brouillard
de sa conception. Le système, inventé un peu par hasard[1]
par le physicien écossais Charles Thomson Rees Wilson en 1911, consistait en
une enceinte close contenant un peu d’eau et détendue[2]
à plusieurs reprises. De la vapeur sursaturée. Le passage d’une particule
cosmique dans cette chambre ionisait la matière sur son passage et permettait à
l’eau de se liquéfier autour des ions ainsi formés. Une belle trace de
gouttelettes d’eau, en suspension comme dans un brouillard, apparaissait alors
le long de la trajectoire. Anderson avait apporté sa touche personnelle à
ce dispositif expérimental en l’entourant d’électro-aimants qui généraient un
champ magnétique d’une centaine de milliteslas. Celui-ci courbait alors la
trajectoire des particules ionisées en de beaux arcs de cercle. Et ceux que
Carl regardait en ce doux mois de mars le laissaient dubitatif.
Il était évident qu’une particule chargée
arrivait par le bas de la chambre puis, traversant la plaque de plomb de six
millimètres d’épaisseur, elle perdait de l’énergie donc de la vitesse, et il
était logique que le rayon de courbure diminuât. Mais ce n’était pas le plus
troublant. Ce qui déstabilisait Anderson était le sens de sa trajectoire, et
plus particulièrement de sa courbure. Elle tournait vers la gauche, comme
l’aurait fait une particule chargée positivement. Toutefois, ce n’était pas un
proton : trop lourd, ce dernier n’aurait pas pu transpercer la plaque
ainsi !
Out of a group of 1300 photographs of cosmic-ray
tracks in a vertical Wilson chamber 15 tracks were of positive particles which
could not have a mass as great as that of the proton.[3]
Anderson avait beaucoup de mal à l’admettre
et pourtant, il avait sous les yeux la trace d’un électron… positif. Son
travail titanesque venait de porter ses fruits. Rares certes mais ô combien
savoureux.
Il essuya la sueur sur son front. Il avait
soif, très soif. Il jeta un œil sur sa montre, l’heure du déjeuner arrivait. Il
partit en direction du restaurant où il savait qu’il trouverait Millikan.
[1] Wilson, qui travaillait sur la
formation du brouillard lui-même, découvrit par hasard que ce dernier se
formait « tout seul » même sans la présence de poussières pourtant
indispensables. Il comprit quelques années plus tard qu’une particule nucléaire
était capable d’ioniser la matière sur son passage, permettant ainsi la
formation des gouttelettes d’eau. Il reçut le prix Nobel en 1927.
[2] Il faut pour cela augmenter le
volume de la chambre sans laisser entrer de particule supplémentaire.
[3] « Sur 1300 clichés des traces
laissées par le rayonnement cosmique dans une chambre de Wilson, 15 traces
étaient celles de particules chargées positivement qui ne pouvaient pas avoir
une masse aussi grande que celle du proton. » The Positive
Electron – Carl D.Anderson – Physical Review n°43, 15 mars 1933.
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