Dans l’hôtel de ville de Stockholm, le
professeur Pleijel, président du comité Nobel pour la physique de l’Académie
Royale des Sciences de Suède, termina son discours.
The Royal Academy of
Sciences has awarded you the Nobel Prize for Physics for 1932 in recognition of
these studies, and I beg you to accept this distinction from the hands of His
Majesty the King[1].
Flopée d’applaudissement. Werner Heisenberg
contempla le drapeau de la Suède, plié en arc de cercle et accroché au milieu
des tuyaux de l’un des plus grands orgues d’Europe qui surplombait le buste
d’Alfred Nobel. L’épaisse moquette bleu céleste. L’orchestre symphonique sur le
balcon. L’aéropage royal et ses femmes aux robes superbes. Il tourna la tête
sur sa gauche et sourit à Paul Dirac, assis à côté de lui. Il chercha à croiser
le regard d’Erwin Schrödinger mais celui-ci fixait avec des yeux gourmands une
femme assise derrière les fauteuils dorés à l’or fin du couple royal.
Werner savourait cet instant et en goûtait
l’incongruité[2].
Gustav V et son épouse se levèrent. Il les
imita et avança vers eux, un peu engoncé dans son smoking, jusqu’à la lettre N
brodée dans la moquette. Le monarque lui remit avec simplicité la petite boite
rouge contenant la médaille Nobel et la grande verte renfermant le diplôme
Nobel.
-
Thank you, dit-il avec un accent irréprochable
avant d’ajouter, Danke.
Werner Heisenberg s’inclina et déjà, le Roi
et la Reine reculaient, le laissant seul sur le devant de la scène. Il se
tourna face au public du Palais des Concerts qui l’applaudit à tout rompre
pendant de longues secondes. Une bouffée de chaleur le submergea et il comprit
ce qu’on ressentait dans la peau d’Albert Einstein.
[1] « La Royale académie des
Sciences vous décerne le prix Nobel de physique pour l’année 1932 en
reconnaissance de votre travail et je vous prie de le recevoir des mains de sa
majesté le Roi. » Discours de cérémonie de la remise des prix Nobel – 10
décembre 1933.
[2] Décoré au titre de l’année 1932,
Werner Heisenberg reçoit son prix en 1933, en même temps que Dirac et
Schrödinger, prix Nobel 1933. Leurs théories, découvertes séparément, sont deux
façons différentes d’aborder le même problème.
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