samedi 14 décembre 2019

Une critique très complète du neutrino ...

pour le blog Quatre sans Quatre

Le lieutenant de gendarmerie Loïc Boudier et son adjoint, l'adjudant Neaume, sont prêts à trafiquer légèrement une scène de crime afin de simplifier le casse-tête qui se pose à eux. Le cadavre de femme, qui a été découvert au petit matin par l'employé d'un complexe sportif, repose exactement de part et d'autre de la frontière franco-suisse, et il serait d'usage de partager l'enquête avec la police helvète, ce dont ils se passeraient bien. Manque de chance, ils n'en ont pas le temps, un inspecteur de la police genevoise, Zellweger, apparaît, mis au courant par le directeur du complexe. Chacun essaie de tirer la couverture à soi, puis on parvient à un accord de travail en équipe. Qui ne sera pas respecté, évidemment... La victime, Sabrina Marco, est une physicienne, une brillante expérimentatrice du CERN, le célèbre collisionneur de particules, construit sous la frontière, situé à cheval sous les deux pays. Trois flics, trois personnalités très différentes, Français et Suisses ne comptent en réalité pas vraiment mettre en commun l'ensemble de leurs trouvailles, chaque service espère bien résoudre l'affaire seul et en tirer les lauriers. Boudier est fragile psychologiquement, handicapé par des sautes d'humeur et des crises d'angoisse qui le paralysent, mais se révèle être un enquêteur de premier plan, Neaume, grande gueule ne prend pas grand-chose au sérieux, ou, du moins, le laisse-t-il penser par son attitude, Zellweger, discret, mais efficace, compile les renseignements et sait progresser en silence par de judicieuses déductions. Ce crime est l'occasion de visiter le colossal collisionneur, les entrailles du CERN, puisque les policiers vont devoir interroger tous les collègues de la scientifique, se pencher sur ses travaux et sa vie privée. Celle-ci se révèle être réduite à la portion congrue. Née en Argentine, Sabrina Marco ne possède pas de famille en France, pas de mari, de compagnon, de liaison connue. Ses travaux, bien qu'importants, ne peuvent, a priori, constituer un motif d'assassinat, le mobile manque cruellement afin d'orienter les recherches et la hiérarchie s'impatiente... Parallèlement, Nils Barrellon raconte la vie d'Ettore Majorana, un physicien italien de génie, né en 1906 à Catane et disparu mystérieusement en 1938. Ce personnage, tout à fait réel, fut un des plus brillants esprits de la première moitié du vingtième siècle. Ses intuitions et ses calculs révolutionnèrent pendant de longues années la physique des particules et sont encore pour beaucoup utilisés aujourd'hui. Majorana travaille tout d'abord dans l'ombre de Fermi, puis part à Leipzig, ensuite à Copenhague. Il collabore avec les plus grands physiciens du moment : Heisenberg, Niels Bohr, Georges Placzek, les stupéfie par ses éclairs de génie. Malheureusement, en avance sur son temps, il fut peu compris à son époque, de plus Majorana était d'une nature réservée et ne cherchait que peu la lumière des projecteurs. À cette réalité historique, l'auteur mêle une intrigue amoureuse avec la superbe Emilia, une étudiante qui le séduit autant par sa beauté que par ses capacités d'analyse. Idylle secrète, séparations contraintes par les travaux d'Ettore, la situation politique terrible de la fin des années trente, tout concourt à des amours contrariées, voire tragiques... Vous vous doutez bien qu'il n'y a pas deux romans en un, que la biographie enjolivée de Majorana et l'enquête sur le meurtre de Sabrina Franco se rejoignent. Une évidence. Nils Barrellon a su y mettre la manière, d'abord parce que son histoire de la physique des particules est passionnante et très instructive, ensuite parce qu'il a très habilement su intégrer fiction et réalité historique afin de donner une vraie crédibilité à son intrigue policière. Les deux fils du roman se suivent avec autant d'intérêt. Le lecteur se surprend à anticiper la conclusion, qui n'est pas d'une difficulté majeure, même si on n'en perçoit pas aisément tous les aspects. La construction du récit est une réussite ; les personnages, particulièrement ceux de la partie historique, ma préférée, ont une vraie épaisseur. Perdu dans ses équations quantiques, Majorana ne perçoit pas les terribles événements se déroulant autour de lui, aussi bien en Allemagne qu'en Italie. Pire, il les approuve même d'une certaine manière en louant l'efficacité allemande et le calme revenu dans les rues alors que la chasse aux citoyens juifs est déjà lancée. L'imagination de l'auteur a le grand mérite de donner une belle solution à l'énigmatique disparition du scientifique de génie. L'enquête au sein du CERN n'est pas à dédaigner, il s'y déroule des rebondissements surprenants et les diverses personnalités des policiers animent fort agréablement les investigations. Un très bon polar, mêlant fiction et réalité, dans le temple de la physique nucléaire, original et solidement documenté. Une intrigue policière subtilement traitée et un mystère historique résolu de belle manière.

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