Ernest Rutherford, dans son laboratoire du
Owens Collège de Manchester s’exclama : « La science, soit c'est de
la physique, soit c'est de la philatélie ! »
Hans
Geiger et Ernest Mardsen sourirent. Ils avaient déjà entendu cette phrase des
dizaines de fois. Elle giclait de la bouche de Rutherford comme fusait
« Shit ! » ou « Bloody hell ! » chez d’autres. Depuis
que le comité Nobel avait eu l’idée saugrenue de lui attribuer le prix de
chimie pour ses travaux sur la désintégration des éléments radioactifs, il ne
décolérait pas. Il était et serait toujours physicien. Cet aphorisme, répété
plus souvent qu’il ne l’aurait fallu, le rappelait à qui en doutait.
Ses
yeux doux observaient, à travers un microscope, l’écran de sulfure de zinc sur
lequel venaient s’écraser en scintillant les noyaux d’hélium. Ils traversaient
la feuille d’or placée devant eux comme si elle n’avait pas été là. Mais, plus étonnant encore, certains –un sur huit mille–
revenaient en arrière !
It was quite the most incredible event that has ever happened to me in my
life. It was almost as incredible as if you fired a 15-inch shell at a piece of
tissue paper and it came back and hit you[1].
À n’en pas douter, ils frappaient quelque
chose au centre de l’atome d’or. Quelque chose de minuscule puisque la grande
majorité des projectiles passaient au travers mais assez massique toutefois pour
se comporter comme un mur quand l’un d’eux le rencontrait frontalement.
-
Un noyau… L’atome a un noyau ! Ou plutôt un
pépin !
-
Un pépin dans une pomme de rayon… 200
kilomètres, compléta Geiger.
-
Qu’aurait trouvé Newton, à part la mort, en
prenant sur la tête un fruit pareil ?
Ernest ne sourit pas. L’aigle de Manchester
avait un humour pince-sans-rire, so
british, si bien accordé à son physique de gentleman. Rugbyman dans sa
jeunesse, il avait gardé le corps longiligne du trois-quarts aile. Ses complets
de flanelle et sa belle moustache complétaient le personnage, moins débonnaire
cependant qu’on aurait pu le croire.
Il s’approcha de la fenêtre et regarda le
ciel.
Le modèle de Thomson, son ancien directeur de
recherche au Cavendish Laboratory de
Cambridge, s’effondrait. Non, l’atome n’était pas comme un pain positif dans
lequel « baignaient », tels des raisins secs, les électrons négatifs.
On devait plus l’imaginer, Hantaro Nagaoka en avait eu l’idée et il allait le reprendre à son
compte, comme la planète Saturne et ses anneaux : un cœur massif capable
de retenir des électrons orbitant autour de lui.
Considering the evidence as a whole, it seems
simplest to suppose that the atom contain a central charge distributed through
a very small volume[2].
La nature, une nouvelle fois, se
dévoilait, lui laissant entrevoir son essence même. Une bouffée de vanité le
submergea qu’il s’appliqua à cacher à Geiger et Madsen car il la jugea
déplacée : c’était la fierté de l’amant qui le premier découvre le corps
d’une jeune vierge. Il eut une subite envie de cherry brandy. Alors, il pensa
aux vérifications à mener, à la publication à venir et ce caprice disparut
aussi vite qu’il était apparu.
- Nous avons du travail, annonça-t-il simplement.
[1] « C’était l’événement le plus
incroyable auquel j’assistais dans ma vie. C’était aussi incroyable que si vous
tiriez un obus de 15 pouces sur une feuille de papier et qu’il y rebondissait
pour revenir vers vous ! » Rutherford 1938 page 68.
[2] Considérant la preuve dans son
ensemble, il paraît plus simple de supposer que l’atome contient une charge
centrale qui se répartit dans un tout petit volume. E.Rutherford –
Philosophical Magazine, ser 6, volume 21.
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