samedi 10 août 2019

1928


Dans un couloir du collège Saint John, à Cambridge, Paul Antoine Marie Dirac, écoutait sans vraiment y prêter attention, son collègue qui marchait à ses côtés.
-       Ils n’ont peut-être pas tort, Paul. Ton équation est superbe, personne ne cherche à le nier, mais les deux dernières composantes de ses solutions sont… Comment dire…
L’homme, un petit monsieur au crâne dégarni affublé d’une paire de lunettes aux fines montures dorées, paraissait embarrassé. Il prit un temps long pour trouver le bon mot. Celui qui ne fâcherait pas Dirac. Car on ne pouvait se brouiller avec celui qui, quelques mois auparavant, avait réussi la synthèse des deux plus belles théories des dernières décennies : la relativité restreinte et la mécanique quantique. Son équation d’onde relativiste[1] était un pur bijou théorique. Mais les énergies négatives qu’elle faisait apparaître effrayaient le landerneau scientifique mondial. Werner Heisenberg avait récemment comparé cette équation au « chapitre le plus triste de la physique moderne ». L’homme opta donc pour l’adjectif le plus neutre possible.
-       Dérangeantes…
-       Mmmm. Pour le moment.
-       Pour le moment ? Vous continuez à travailler sur…
-       Si vous voulez bien m’excuser, je suis arrivé.
Paul Dirac ne serra pas la main de son interlocuteur et pénétra dans son bureau. Il ôta son manteau, le pendit à la patère, s’installa dans son fauteuil. Un club au cuir patiné par les années et les centaines de paires de fesses qui s’y étaient posées. Ces énergies négatives le tourmentaient lui aussi. Et si elles étaient les vides laissés par des particules d’énergie positive ? Des électrons par exemple… Ce serait alors des protons…



[1] 


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