Dans un couloir du collège Saint John, à
Cambridge, Paul Antoine Marie Dirac, écoutait sans vraiment y prêter attention,
son collègue qui marchait à ses côtés.
-
Ils n’ont peut-être pas tort, Paul. Ton équation
est superbe, personne ne cherche à le nier, mais les deux dernières composantes
de ses solutions sont… Comment dire…
L’homme, un petit monsieur au crâne dégarni
affublé d’une paire de lunettes aux fines montures dorées, paraissait
embarrassé. Il prit un temps long pour trouver le bon mot. Celui qui ne fâcherait
pas Dirac. Car on ne pouvait se brouiller avec celui qui, quelques mois
auparavant, avait réussi la synthèse des deux plus belles théories des
dernières décennies : la relativité restreinte et la mécanique quantique.
Son équation d’onde relativiste[1]
était un pur bijou théorique. Mais les énergies négatives qu’elle faisait
apparaître effrayaient le landerneau scientifique mondial. Werner Heisenberg
avait récemment comparé cette équation au « chapitre le plus triste de la
physique moderne ». L’homme opta donc pour l’adjectif le plus neutre
possible.
-
Dérangeantes…
-
Mmmm. Pour le moment.
-
Pour le moment ? Vous continuez à
travailler sur…
-
Si vous voulez bien m’excuser, je suis arrivé.
Paul Dirac ne serra pas la main de son
interlocuteur et pénétra dans son bureau. Il ôta son manteau, le pendit à la
patère, s’installa dans son fauteuil. Un club au cuir patiné par les années et
les centaines de paires de fesses qui s’y étaient posées. Ces énergies
négatives le tourmentaient lui aussi. Et si elles étaient les vides laissés par
des particules d’énergie positive ? Des électrons par exemple… Ce serait
alors des protons…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire