vendredi 11 novembre 2016

Un entretien avec Yvan...

...pour son blog Emotions

En ce jour où le « grand » pays d’outre-Atlantique vient de coller un coup de Trump sur la tête de certains, l’interview de Nils Barrellon vient à point nommé sur ce blog. Parce que son dernier et excellent roman noir, La lettre et le peigne, nous plonge dans un passé sombre qui n’est pas si lointain. Et parce que ce passé a certaines réminiscences dans notre actualité. Un auteur étonnant que ce Nils Barrellon, au parcours atypique et à l’univers qui l’est tout autant. Cette interview est une belle manière, tantôt drôle tantôt grave, de découvrir ou approfondir la rencontre avec un écrivain qui mérite qu’on s’y attarde. 


Merci d’avoir accepté mon invitation. Avant de commencer, qu’est-ce que je te sers à boire ?
Un truc de fort parce que je crois que j’en ai besoin. Un whisky peut-être… Surtout pas un bourbon ! Non, non, un écossais. Non, tiens, un verre de Nikka, le whisky japonais. 

Question rituelle pour démarrer mes entretiens, peux-tu te définir en trois mots, juste trois ? 
Curieux. Marrant. Orgueilleux. 

Tu es professeur de sciences physiques. Manier les mots est une science bien différente, non ? 
Oui… Et non. J’aime à rappeler, au risque de paraître vaniteux, qu’il y a une grande tradition des scientifiques philosophes. Pascal, Descartes en France pour ne citer qu’eux. Les grands mathématiciens et philosophes grecs… Schrödinger, concepteur de l’équation quantique qui porte son nom, était aussi un écrivain. Einstein a lui aussi pondu quelques ouvrages « littéraires ». Certes, ils n’étaient pas vraiment romanciers et n’inventaient pas, à proprement parler, des histoires mais, pour répondre à ta question, ils maniaient aussi bien les chiffres que les lettres. Maintenant, pour être franc, il me semble qu’un scientifique écrit… comme un scientifique. Il y a de l’ordre, de la logique, une volonté d’être compris, d’être suivi. Il faut que le lecteur épouse la pensée de l’auteur. C’est un travers que je pense avoir : d’une part, je travaille beaucoup mon style, mes tournures de phrases pour être entendu, d’autre part, j’ai du mal avec les invraisemblances. Je suis capable d’écrire des choses extraordinaires (car il faut qu’un livre, a fortiori un polar, soit surprenant et aguichant) mais ce sera toujours dans les limites de la vraisemblance. Il faut que cela soit possible ! 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ton parcours de romancier n’est pas banal. Tu as débuté avec des thrillers où l’humour est omniprésent et tu nous reviens avec un roman noir beaucoup plus sérieux, sur fond de seconde guerre mondiale. Bref, impossible de te coller une étiquette, c’est une volonté ? 
Oui. Je m’ennuie vite. En tout. J’ai vite l’impression « d’avoir fait le tour » et, quand je pense avoir compris quelque chose, je m’en éloigne. C’est sûrement un défaut : je ne suis pas un passionné. Je suis si curieux que je ne peux me résoudre à travailler un sujet ad nauseam. Je papillonne. Je vais voir ailleurs. J’aime la découverte. Logiquement, il en va de même avec mes lectures. Je lis de tout : polar, essais scientifiques et philosophiques, romans classiques et modernes, BD… Après –c’est ma théorie– on devient auteur après avoir été lecteur. Comme ce fut mon cas. Et le schéma se reproduit. J’écris des choses différentes car je ne veux pas m’enfermer dans un style. J’adore Kuhn, je m’amuse beaucoup en l’écrivant, mais j’avais envie de faire autre chose. La position des tireurs couchés était un exercice de style, à la Manchette. Concis, incisif, froid. J’ai adoré faire cela. La lettre et le peigne partait d’une volonté de prendre le temps, de développer et surtout de glisser un personnage fictif dans des faits historiques réels. Les prochains seront encore différents. Let’s play ! 

Passons au plat de résistance. Si tu avais le choix, qu’aimerais-tu manger là, tout de suite ? 
Surtout pas un T-bone ni un burger !!! J’ai la nostalgie du civet de lapin au sang de ma grand-mère. Quand il était encore possible de demander à son boucher un litre de sang ! Alors, un civet steuplé avec des patates vapeur. 

L’histoire de ton nouveau roman, La lettre et le peigne, se déroule à plusieurs époques. Peux-tu nous en dire davantage, sans trop en dévoiler ? 
La lettre et le peigne raconte l’histoire d’une famille allemande sur trois générations. Celle d’Anna, la grand-mère, de Josef, son fils et de Jacob, son petit-fils. Le moteur du récit est cette lettre qu’Anna souhaite laisser à son fils. Toutefois, comme elle ne veut pas lui remettre immédiatement, elle la confie à son cousin Heinrich pour qu’il la donne à Josef le moment venu. Hélas, Josef ne parvient pas à retrouver Heinrich dans le désordre allemand d’après guerre et est contraint de léguer à Jacob ce curieux héritage. C’est lui qui va se lancer sans ménager sa peine sur les traces de cet étrange courrier. Le lecteur va donc suivre la famille Schimdt depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à nos jours. 

C’est assez original pour un auteur français de placer ainsi une grande partie de l’intrigue en Allemagne. Tu avais cette idée dès le départ ? 
 C’est la fin du roman qui m’est venue en premier. Des lors, le choix de l’Allemagne s’est imposé et tu comprendras que je ne puisse pas en dire plus ! 

Comment as-tu procédé pour tes recherches et concernant l’immersion dans le monde germanique que tu proposes au lecteur ? 
Il n’y a pas de recette miracle. Il faut se retrousser les manches et se documenter. Par tous les moyens possibles. J’ai donc lu : Seul dans Berlin de Hans Fallada, Une femme à Berlin (journal d’une berlinoise) et bien d‘autres ouvrages. J’ai regardé des films comme Allemagne année zéro de Fellini, La chute de Oliver Hirschbiegel et même Walkyrie avec Tom Cruise ! Et puis, évidemment, internet. Wikipédia et Google maps et google translate sont mes grands amis ! Il y a de l’huile de coude dans ce roman. J’espère juste qu’elle ne se voie pas. 

J’ai eu vraiment le sentiment que tu avais travaillé ton récit pour qu’il soit lui-même inclassable, à la fois roman noir, polar et thriller… 

Alors ça c’est involontaire. Autant pour La position des tireurs couchés, je savais où je voulais aller, qui je voulais imiter (Manchette est l’inventeur du néo-polar) sans toutefois prétendre avoir réussi. Un libraire à qui je l’avais fait lire me l’a d’ailleurs sèchement fait constater : « ça n’a pas la profondeur de Manchette tout de même… » Soit ! Autant pour La lettre et le peigne, je voulais juste être rigoureux (mon côté scientifique) sur les faits historiques et la vraisemblance de mon histoire. C’est peut-être pour cela qu’il n’entre pas correctement dans telle ou telle catégorie. 

On apprend toujours de son passé. Tu n’hésites pas à faire certains parallèles entre les idées véhiculées lors des pires moments de notre Histoire récente et celles qu’on peut retrouver aujourd’hui… 
Je crois donc qu’il n’est pas inutile de rappeler sans cesse les erreurs commises dans le passé, de ressasser même. Il ne faut pas se décourager car les gens oublient vite : au moment où nous parlons, Trump est devenu le président de la première puissance mondiale… En 33, Hitler fut porté au pouvoir en tenant des discours simplistes, populistes qui frappèrent efficacement l’imaginaire du peuple allemand dans une période favorable à ce genre de rhétorique… Il est sûrement exagéré de comparer le milliardaire new-yorkais au dictateur nazi mais le parallèle entre leurs deux modes d’accession au pouvoir me semble évident. Il faut maintenant espérer que les similitudes s’arrêteront là. 

Cette histoire peut également se voir comme un récit sur la transmission… 
Oui parfaitement. D’Anna à Josef. De Josef à Jacob. Transmission d’une lettre, d’un mystère, d’un « secret de famille ». Et puis il y a cette maladie qui passe aussi… 

Ce roman est un one shot, mais tu te permets quelques clins d’œil aux lecteurs qui te suivent depuis le début… 
Cela m’amuse beaucoup. Tu vas me prendre pour un gros prétentieux mais j’ai en tête les Rougon-Macquart d’un auteur qui a eu un certain succès ;-). J’avais envie de lier tous les pans de « mon œuvre ». Mais que se passe-t-il, ma tête enfle subitement, je quitte le sol… Aaaahhh ! Ouh… Je… Disons que c’est un peu comme Hitchcock dans ses films… Je vais essayer de faire apparaître Kuhn à chaque fois. Juste pour rire. 

C’est quoi la suite de l’aventure littéraire de Nils Barrellon ? 
Elle est dense. Au printemps va sortir un bouquin que j’ai écrit à quatre mains. Deux des miennes et deux d’une auteure jeunesse Sarah Turoche-Dromery. Nous nous sommes rencontrés au salon de Saint-Etienne l’année dernière puis revus à celui de Paris. L’idée nous est venue de conjuguer nos talents pour écrire un polar-jeunesse sur un centre d’intérêt commun : le street art et en particulier le travail de Space Invader, cet artiste français qui colle des mosaïques représentant des petits envahisseurs un peu partout dans le monde. Nous peaufinons le manuscrit qui est attendu par un éditeur enthousiaste. Puis, en juin, le 8 pour être précis, la troisième enquête du commissaire Kuhn dans un cadre que je connais bien : celui d’un lycée parisien. Avis à tous ceux qui ont aimé les deux premiers épisodes, vous allez retrouver toute la fine équipe, Kuhn, Letellier, Lefort, Bastien dans une enquête sérieuse mais menée avec l’humour caractéristique du commissaire. Attention toutefois, ce troisième volet pourrait bien vous réserver quelques surprises… Enfin, je m’attelle en ce moment à la structure d’un gros thriller auquel je pense depuis longtemps. J’ai très envie de conjuguer sciences et polar… Je suis en phase de recherche !

Ce blog est fait de mots et de sons. La musique prend-elle une part dans ton processus créatif ? 
 Au risque de te décevoir : non ! J’aime beaucoup la musique et notamment la chanson française car j’attache beaucoup d’importance au texte… Hélas, il m’est impossible de réfléchir aux mots si j’entends ceux des autres… Je travaille donc dans le silence. J’affectionne particulièrement l’ambiance feutrée des grosses bibliothèques et j’ai mes habitudes dans celles de l’hôtel de ville à Paris –sous main en cuir, mobilier magnifique. Pour mon prochain thriller, je vais pourtant m’orienter vers celle des sciences de l’université paris 7 dans le XIIIème ! 

Et pour terminer, je te laisse choisir ton dessert préféré… 
Si tu me sers un Donut, je te le jette au visage… Excuse moi, mais cette élection me rend un peu nerveux… Je prendrai volontiers une part de tarte au citron, mon dessert préféré. Pas meringuée. Nature. Merci.

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